UNE FORME immobile se tient là, allongée sur le sol. Une jeune fille. La chevelure dorée, la peau pâle, vêtue d’une jolie robe, blanche, ornée de jolies broderies et de dentelle. Elle semble avoir la trentaine. Allongée sur le côté, sa tête posée sur ses mains, les jambes légèrement repliées sur son ventre, elle paraît paisible dans son sommeil. Une légère brise se lève et lui caresse les cheveux. Un frisson la saisit. Est-ce la fraîcheur ? Ou bien la sensation du vent ?
Autour d’elle, le sol, sablonneux, grisâtre, s’agite sous le passage du vent. Le ciel s’étend au dessus d’elle, d’un noir de geais. La nuit ? Peut-être. Peut-être pas. Une lumière extraordinairement blanche tente de rendre le lieu moins sombre. Mais étrangement, elle ne réchauffe pas. D’où vient-elle ? Ni de la Lune. Ni du Soleil. Car il n’y a aucun astre, aucune étoile. Le ciel apparaît comme un immense océan d’obscurité infinie.
Brynhilde se réveille. Elle prend son temps, ouvrant d’abord les yeux. Ces derniers sont légèrement aveuglés par la luminosité. Elle les plisse un peu, le temps que son regard s’habitue à l’intensité lumineuse. Lentement, elle se redresse, assise par terre. Sous ses doigts, le sable gris n’est ni chaud, ni froid. Ses mains ne perçoivent pas la roulade des petits grains entre ses doigts, une sensation trop étrange en soi. Le son de leur glissement aussi ne lui parvient pas. Elle fronce les sourcils. Elle regarde autour d’elle. Une immensité grise, surplombée d’un ciel noir, éclairée pourtant de cette étrange lumière blanche, s’offre à elle. Sans un bruit.
Pas de verdure.
Pas de ciel bleu.
Pas d’odeurs.
Pas de chaleur.
Juste par moment une fine brise. Silencieuse.
Elle se lève et observe plus attentivement les lieux. Un véritable désert de gris et de blanc s’étend jusqu’à une ligne d’horizon trop mystérieuse à son goût. Quelque chose la chiffonne. Une impression désagréable d’intense solitude. Comme si, dans ce désert, il n’y a qu’elle et rien ni personne d’autre. Son cœur se met à battre un peu plus fort dans sa poitrine. La prise de conscience progressive de ne pas connaître l’endroit et d’y être seule fait naître une angoisse.
Brynhilde se dit alors que bouger, marcher, chercher une autre forme de vie, ou mieux encore, quelqu’un d’autre, l’aiderait à empêcher cette angoisse de grandir davantage. Elle se met alors en route, prenant une direction au hasard, ne trouvant ni le Nord, ni le Sud, ni l’Est, ni l’Ouest. Elle parcourt une dune, puis la suivante et ainsi de suite. Une nouvelle prise de conscience la saisit. Elle ne sait plus ni le jour ni l’heure ni même comment elle a pu atterrir ici.
L’angoisse progresse. Lentement. Brynhilde presse le pas, courant sur les dunes de sable. Le désert n’en finit pas. Elle n’en voit pas le bout. Elle ne sait plus du tout d’où elle était partie. Perdue dans cet océan de blanc, de gris et de noir, elle ne sait plus sur quoi se raccrocher pour garder un minimum d’espoir. Et son esprit continue d’analyser afin de comprendre, trouver des réponses aux différentes questions qu’elle se pose depuis un moment déjà.
Pourquoi ne sent-elle rien ? Ni en odeurs, ni au toucher ? Comment peut-elle sentir pourtant une forme de froid en elle ?
Pourquoi n’y a-t-il pas un seul son ?
Pourquoi est-elle ici ?
Quel est cet endroit exactement ?
Pourquoi tous ces gris ?
C’est si triste, si… mort ?
Où sont les couleurs ?
Est-elle vraiment seule ici ?
Une infinie tristesse emplit son cœur. L’angoisse, elle, prend ses aises en son sein. La jeune fille s’arrête dans sa quête de trouver une sorte de sortie. Elle se laisse tomber dans le sable ne sachant vraiment pas quoi faire. Elle s’acharne alors sur le sable, en attrapant des poignées pour les jeter de colère triste, tant elle ne comprenait pas ce qu’elle faisait là. Elle creuse, jette, creuse, jette, tant et si bien qu’elle tombe alors sur quelque chose que le sable avait enfoui, comme caché là, aux yeux d’éventuels nouveaux venus.
Brynhilde manque d’en avoir le souffle coupé. Sa respiration se fait difficile, et l’angoisse jusqu’alors tranquille prend une ampleur si grande qu’elle emporte son cœur dans un rythme de folie.
Un crâne regarde Brynhilde de ses orbites sombres et creux. Un regard vide, d’une obscurité infinie. Brynhilde se sent comme hypnotisée par ces deux creux noirs rivés sur elle.
Elle ramasse le crâne et le tient de ses deux mains, tremblante, le regardant sous toutes ses coutures. Elle se surprend même à être parvenue à le prendre ainsi.
Qui es-tu ?
Pourquoi me sembles-tu si familier ?
Le contour de tes orbites. La ligne de ton nez. La ligne de ta mâchoire du haut. Celle de ta mâchoire du bas. La courbe de tes pommettes… la courbure de ta boîte crânienne…
Je te connais. Tu m’es familier.
Je n’arrive simplement pas à mettre le doigt dessus.
Que faisais-tu là dans ce désert ?
Si je te connais, comment se fait-il que je n’ai pas le souvenir d’avoir été prévenue de la perte d’un proche.
Brynhilde passe à nouveau ses doigts sur les nombreuses lignes, courbes et creux du crâne, cherchant une réponse. Une trace sur la boîte crânienne lui donne une intuition.
Cela ne se peut pas.
Cette trace. Ce creux que tu as là…
Il n’y a que…
Brynhilde écarquille les yeux face à la réponse.
C’est moi.
Brynhilde ne comprend pas. Inéluctablement, les pièces de ce puzzle complexe et géant s’emboîtent les unes dans les autres. La réponse qu’elles donnent est cruelle. Brynhilde secoue la tête, la rejetant avec force. Cela ne peut pas être elle. Elle est pourtant bien là ! À regarder ce morceau de squelette ! Elle est bien là dans ce désert ! Elle respire ! Comment ce crâne peut bien être elle ?!
Elle tremble, l’angoisse reprend de plus belle. Le crâne tombe à ses pieds. Ses jambes ne la tiennent plus. Elle tombe à terre. Effrayée, la respiration profonde par l’angoisse, elle recule, prenant ses distances. Le crâne est toujours là. Il la regarde. Encore et encore. Comme si elle ne peut pas sortir de son champ de vision, quoi qu’elle fasse.
C’est juste impossible. Rien de tout cela ne peut être réel. C’est forcément un mauvais rêve. Un cauchemar. Comment, cependant, en être sûre alors que les sensations sont absentes ? Se pincer ne sert malheureusement à rien. Brynhilde panique. Elle veut quitter cet endroit. Ne plus voir ce qui, ici, constitue tout ce qu’il reste d’elle. Elle veut retrouver sa réalité, se réveiller si tant est qu’il s’agisse bien d’un rêve. Elle trouve la force de se relever, et se met à courir sans but, à travers l’immense désert. Elle fuit. Quoi ? Elle ne saurait dire exactement. Mais c’est tout ce qu’elle peut faire présentement.
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