4. THURISAZ

LA CHEVELURE DE FEU, les yeux verts émeraude, le visage jeune aux traits fins, le corps fort et mince, Sigurd dégageait une allure et un charisme presque royaux. Il ne s’en rendait pas compte, trop préoccupé par les derniers évènements de sa vie, mais il attirait l’attention. D’un pas décidé, il alla demander où il pouvait trouver Eir. En arrivant, il avait compris qu’elle était la personne à la tête des guérisseurs et guérisseuses, en charge de tout ce petit monde et des prises de décisions. Une fois l’information demandée reçue, il reprit sa route et toqua à la porte. C’est Eir qui lui ouvrit :

– Entrez. dit-elle en lui libérant le passage.

Sigurd ne se laissa pas dire deux fois. Il restait tout de même sur ses gardes. Depuis son arrivée à la Tour, il avait trouvé les lieux trop étranges. Eir lui paraissait beaucoup trop sympathique. Il avait vu la gardienne lui parler en privé, les dieux savent de quoi. Et puisque Rùnar lui paraissait peu méfiant, il était hors de question d’être encore une fois embarqué dans des problèmes avec lui. Sigurd ceci dit ne sut pas trop pourquoi il y avait un arrière goût de déjà vu ou vécu avec cette pensée. Il observa tout de même les lieux. Derrière lui, il entendait Eir préparer le matériel. Et la voyant passer avec tout un nécessaire de soin, il l’arrêta doucement la main sur son bras droit :

– Peut-on s’occuper… D’autre chose ?

Eir fronça légèrement les sourcils surprise et posa les affaires sur sa table :

– Oh… Dites-moi, qu’y a-t-il ?

Sigurd s’assit sur la couchette, guidant Eir et la faisant s’installer sur un tabouret face à lui.

– J’ai été inconscient pendant très longtemps… Un mois de ce que m’a dit Rùnar… Mais si j’ai des souvenirs de notre passé, j’ai comme… Oublié ce qu’il s’est passé en réalité… Lorsque je me suis réveillé, j’ai eu du mal aussi avec mon pouvoir… C’est revenu petit à petit quand j’ai essayé de me souvenir, mais…

Il poussa un soupir :

– Vous pourriez commencer par ça ? Rùnar ne veut rien me dire, et j’ai l’impression que je vais devenir fou…

Eir lui prit doucement les mains. Ce geste toucha beaucoup Sigurd. Il la vit fermer doucement les yeux. Elle resta ainsi face à lui, silencieuse, pendant quelques minutes avant de les rouvrir.

– Je peux vous aider avec votre mémoire. Mais cela sera difficile. Je sens votre énergie magique retrouver sa force, mais être fragilisée et votre esprit devenir instable. J’ai comme l’impression que ne pas vous souvenir est un mécanisme pour vous protéger le temps de vous renforcer et être en mesure d’encaisser… Vous êtes sûr de ne pas vouloir d’abord être physiquement capable de faire face ?

Sigurd lisait l’inquiétude sur son visage. Elle lui tenait toujours les mains. Il y avait quelque chose de très maternel qui lui faisait un bien fou. Il hocha la tête :

– Oui. S’il vous plaît. J’ai besoin de savoir.

Eir acquiesça, se leva et alla chercher plusieurs petits contenants dans lesquels se trouvait différentes herbes, ainsi qu’un petit bol. Elle posa le tout sur sa table. Sigurd la regarda préparer un mélange, récitant des runes. Puis, elle tira un lourd tissus devant la fenêtre, alluma plusieurs bougies et revint près de lui, un petit bol à la main ::

– Le voyage vers les souvenirs est difficile, semé d’embûches. Expliqua-t-elle. Dès l’instant où vous boirez ceci, votre conscience quittera cette réalité. Ce sera à vous de trouver le chemin vers ce que vous cherchez. Moi, je serai toujours ici pour vous surveiller et prendre soin de vous. Mais de l’autre côté, vous serez tout seul. Mon pouvoir me permettra seulement de voir ce que vous vivez et vous aider lorsqu’il le faut. Vous comprenez ?

– J-je crois…

Il attrapa le bol et but entièrement son contenu. Eir récupéra le récipient rapidement, alors qu’il se sentit vaciller, le sol se mettant à tourner, les murs à craquer et à se mouvoir bizarrement. Eir l’allongea, alors qu’il ferma les yeux.

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Le vent lui caressait doucement le visage. Il sentait la chaleur du soleil, la douceur de l’herbe sous ses doigts. Les sons et les odeurs lui rappelaient ce lieu où il a grandi une partie de sa vie. Il s’y sentait si bien. Il prit une grande inspiration, savourant chaque parfum de celle-ci.

Quelqu’un était là à côté de lui. Son front collé au sien, bien qu’il se savait sur le dos. On lui tenait la main droite, et cette chaleur lui était si agréable. Il se sentait comblé. Rien ne lui manquait. Absolument rien. Il pourrait rester là des heures. Ceci dit, il ouvrit les yeux, découvrant qui était là, si près de lui.

Son cœur manqua un battement.
Il n’avait pas oublié mais il faut croire que cela lui faisait toujours quelque chose.
Ces yeux noisettes dont il n’arrivait jamais à savoir la façon dont ils le regardaient.
Ces cheveux bruns sombres mi longs.
Ce visage à la peau si pâle et pourtant si vivante.
Ce visage dont l’expression restait toujours une énigme.

Rùnar…

Sigurd ne perçut alors plus rien, si ce n’est les battements dans sa poitrine.
Il pourrait y passer des heures ainsi.
Il le savait. Il le sentait. Il aimerait s’installer plus près. Il aimerait que ce moment soit éternel. Il aimerait que tout s’arrête là. Il fermait les yeux, savourant chaque sensation de ce moment…

Un rire joyeux le réveilla. Sigurd ouvrit les yeux et reconnut les lieux. La pierre de lune des murs, les poutres dorées des voûtes, l’alternance de blanc et de bleu nuit sur le sol, les grandes tentures pourpres, la lumière emplissant l’espace passant par les grandes ouvertures. La grande halle de Lysende. On l’appelait. Il tourna les yeux vers la voix. Son cœur se serra à sa vue.

Des cheveux longs, ondulés, dorés presque blancs sous la lumière. Des yeux bleus-vert. Un visage un peu carré. Un air assez mature pour son âge.

Brynhilde.

Elle l’appela encore une fois, alors il courut vers elle. Elle lui prit la main. Il se souvenait bien de ce jour. Le revivre le rendait triste. Pourquoi ? Une question encore sans réponse. Il reconnut l’endroit où la jeune fille l’avait conduit. La halle aux étoiles. Le plafond était de verre, les murs en marbre bleu nuit, les boiseries argentées. Au milieu se tenait l’immense statue de la Dame de la Nuit, le bras droit levé grâcieusement vers le plafond, vêtue de sa tenue de femme guerrière, son bouclier aux étoiles appuyé contre sa jambe gauche, maintenu par sa main gauche.

Sigurd se rappelait. C’est avec la Dame de la Nuit en témoin qu’il avait donné l’anneau d’argent, formant un cerf portant entre ses bois un émeraude, courant autour de l’index de son porteur.

Le cor sonna violemment à ses oreilles.
Le ciel s’obscurcissait.
La chaleur laissait place à la froideur.
Des nuages commençaient à couvrir le soleil.
Le voilà seul dans la Cité de Lumière.

Il était vêtu de son armure de métal d’or, d’argent et de cuir, le métal couvrant son torse, son dos, ses épaules, ses bras et ses jambes.
Derrière lui, une lourde porte s’effondra avec fracas. Des soldats hurlant, enragés, sauvages s’engouffraient dans l’ouverture, tels des fauves assoiffés de sang.
Sigurd se défendait alors par le feu, projetant ses adversaires à terre par la force des flammes, ou les brûlant suffisamment pour les mettre hors combat.

Un rire machiavélique résonna alors dans la pièce, le prenant au dépourvu. Un coup à la tête le fit tomber au sol lourdement. Il se redressa et prit le temps de reconnaître les lieux. Il marqua, alors, un temps d’arrêt.

Son cœur battait si vite, à nouveau.
La peur s’installa.
L’angoisse grandit.

Rùnar se trouvait là face à lui, accompagné de sa mère, Sygin. Il y avait quelque chose de glacial en lui. Quelque chose de beaucoup trop différent, et surtout de mauvais.
Le regard précédemment si doux était si malveillant.
Ce regard pourtant si vivant était devenu si mort, si vide…
Sigurd regarda autour de lui, perdu, n’arrivant pas à comprendre.
L’inquiétude rejoignit l’angoisse.
Le Jarl était là, blessé, soutenu par sa fille, Brynhilde, vêtue de son armure. Elle n’était pas blessée, mais semblait désemparée.
Il ne se souvenait pas de tout cela.
Il ne se souvenait pas d’entendre le tumulte de la guerre, de sentir l’odeur du feu, du métal, et de mort.
Très vite, il n’y eut dans ses oreilles que le son de sa respiration et des battements de son cœur.
Sigyn invectiva le Jarl, le pointant du doigt.
Brynhilde s’interposa, protégeant son père.
Sigyn murmura à l’oreille de son fils, celui-ci s’attaquant à Brynhilde, la projetant au loin.

Sigurd hurla et se précipita vers elle, s’assurant de son état. Il l’aida à se redresser, ne comprenant pas ce que faisait Rùnar.
Sigyn en profita pour s’avancer vers le Jarl, ses sortilèges prêts. Le roi s’était redressé, dégainant ses deux haches.
Le choc entre la souveraine guerrière et le Jarl faisait trembler l’espace.
Sigurd empêcha Brynhilde d’intervenir, lorsque soudain il se sentit comme hypnotisé et plus du tout maître de ses mouvements.
Brynhilde criait et le secouait pour qu’il reprenne ses esprits. Sigurd essayait de reprendre le contrôle mais c’était bien trop puissant. Impuissant, il vit Rùnar la repousser. Sigurd entendit alors Rùnar lui murmurer quelque chose.
Il eut un frisson.
Il s’entendait vouloir s’opposer à l’ordre donné.
Il sentit les mains de Rùnar guider les siennes.
Il se hurlait de ne pas le faire.
Il luttait pour résister, mais l’emprise était si forte.
Le rire de Sigyn alors qu’elle avait le dessus dans le combat n’arrangeait rien.
Et Sigurd lança sa lance de feu.
Le Jarl la reçut en plein cœur.
Brynhilde poussa un cri et se précipita vers son père.
Sigyn ria, annonçant sa victoire.
Sigurd vit Brynhilde hurler de tristesse, serrant son père dans ses bras.
L’atmosphère s’alourdit.
Le ciel s’obscurcit de nuages.
L’orage tonna.
L’air devint lourd et oppressant.

Et dans un hurlement de colère, de tristesse et de haine, elle libéra toute sa puissance magique. L’anneau qu’il lui avait donné se brisa. La tempête éclata, un éclair foudroya Brynhilde, l’impact soufflant Sygin, la projetant et la tuant sur le coup, ainsi que Rùnar et Sigurd qui, bien que retrouvant la totale maîtrise de son corps et de ses mouvements, heurta sa tête et perdit connaissance…

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Sigurd ouvrit d’un coup les yeux et se redressa. Eir s’écarta pour lui laisser l’espace nécessaire. Il était en sueur, haletant, le visage marqué par ce qu’il venait de lui arriver. La guérisseuse lui tendit un bol d’eau, et se leva pour ramener un peu de lumière naturelle dans la pièce. Il s’assit sur la couchette. Était-ce réellement ses souvenirs ? Et si tout ça n’avait été qu’une espèce de rêve, une sorte d’hallucination ?

– Ce n’était pas réel n’est-ce pas ?

Eir reprit sa place face à lui. Elle lui prit doucement les mains, diffusant une chaleur l’aidant à se détendre :

– Je vous l’ai dit. Ce genre de voyage n’est jamais facile.

– Mais ce que j’ai vu… Ce n’est pas… Ça n’est pas vraiment arrivé…

Eir compatissait, vraiment. Elle ne pouvait rien faire ou dire d’autre. Elle lui serrait simplement les mains. Sigurd comprit alors. Il se décomposa.

– … Je suis désolée… dit-elle simplement, d’une voix brisée.

Le cœur serré, se sentant mal, trahi, profondément triste et en colère, il sortit de la pièce, claquant la porte derrière lui. Il reprit le chemin de la chambre qu’il partageait avec Rùnar. Ce nom… Y penser nourrissait son mal d’autant plus. Comment avait-il pu le trahir ainsi ? La colère montait. Il bousculait ceux qui se trouvaient sur son chemin, marchant avec hâte, voulant être seul. Il s’arrêta cependant, se retrouvant face à la personne responsable de tous ses maux. Il serra les poings, tout son corps se crispa de rage. Ses mains rougirent prêtes à agir et brûler pour soulager la douleur dans sa poitrine. Cependant, il se rappelait où ils se trouvaient et fit taire sa magie. Sigurd poussa Rùnar et s’enferma dans leur chambre, où il lâcha prise, laissant ses émotions l’envahir et monter à la surface.

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