15. EIHWAZ

LE VOYAGE VERS L’ARCHIPEL DURA TROIS JOURS. A l’aube du troisième jour, Skuld envoya un corbeau vers le nord, portant un message. Le silence régnait sur le navire. Sigurd était toujours souffrant, et Helgi profondément marquée par tout ce qui leur était arrivé à Varangar. Au début, Helgi soulageait le cœur et l’esprit de Sigurd, lui prenant sa tristesse, sa douleur et sa colère. Mais elle arrêta rapidement de le faire, laissant ainsi le temps faire son œuvre, aidant simplement Verdandi à prodiguer les soins. 

Le bateau entra au port de l’île de Blása. Debout à la proue du navire, Helgi profita de la vue, et découvrit la ville qui se dévoilait devant elle. L’île était verdoyante, la lumière de l’après-midi donnant des reflets dorés aux reliefs couverts de verdure, et jouait avec les ombres des forêts d’if et de bouleaux. La ville se démarquait, installée aux abords de la falaise. Les maisons semblait tracer un chemin jusque la Halle au toit doré et aux murs blanc ivoire, située sur le relief le plus haut de l’île. 

Une fois le bateau accosté au quai, Skuld fut la première à descendre. Un vieil homme s’avança, prenant appui sur un bâton, sans pour autant qu’il en ait réellement besoin pour marcher. Dans sa main gauche, il tenait un papier, et salua Skuld qui s’approchait. 

  • Gunnar.
  • Jarl Skuld. 
  • Je vois que vous avez reçu mon message.
  • Tout est prêt, tel que vous l’avez demandé. répondit-il en hochant la tête.

Gunnar fit un geste de la main et plusieurs personnes aidèrent Urd, Verdandi et Helgi à descendre et à transporter leurs affaires, le corps de Baleygr et la civière sur laquelle était allongé Sigurd vers la Halle. Skuld marchait aux côtés de Gunnar qui lui rapportait ce qu’il en était de la vie sur l’île, et si des changements notoires avaient eu lieu ou non. Helgi suivait machinalement le groupe. Elle ne prêtait pas plus attention au monde qui s’activait autour d’elle une fois arrivée dans la Halle. En temps ordinaire elle aurait pris le temps d’apprécier les gravures, les tapisseries et autres éléments de décor. Mais cette fois-ci, elle se contenta d’aider à installer les affaires dans les chambres, et à porter ce qui était nécessaire pour soigner Sigurd auprès de Verdandi. 

Lorsque l’agitation quitta la pièce où se trouvait Baleygr, Helgi s’y rendit. En le voyant ainsi allongé sur la table en marbre, les yeux fermés, elle s’était dit machinalement qu’il était simplement en train de dormir. Mais en s’approchant, son cœur se serra à nouveau. Il était si pâle. Son corps était si froid sous ses doigts, lorsqu’elle posa sa main sur son épaule. Elle réalisait à nouveau qu’elle venait de perdre les deux êtres qui avait été comme une famille pour elle, depuis toute petite. Cela avait créé un vide si grand, qu’elle en avait le cœur lourd, au point d’avoir du mal à trouver l’espace pour respirer.  

Baleygr avait été un soutient important dans sa vie. Hyndllah avait été un véritable guide. Elle avait tant appris des deux. Hyndllah lui avait transmis la connaissance du monde, des choses qui le constitue. Baleygr lui avait transmis des valeurs, dont celle de l’honnêteté, de l’honneur et de la loyauté. Il lui avait appris le courage et avait toujours constitué sa force, ce qui lui avait toujours permis d’avancer. Il avait toujours été là dans ses moments de doutes ou de manque de confiance en elle. Comment alors avancer maintenant que les deux étaient partis ? Elle s’en voulait de ne pas avoir été plus forte pour faire face à Gunnhild, elle s’en voulait de ne pas être arrivée auprès de son père pour l’aider. Si elle avait pu le faire, peut-être qu’il en aurait été autrement. Les émotions, qui l’envahissaient, étaient vives, dures, brutes et sauvages. Elle avait beau avoir accompli son éveil, elle se sentait si faible, si incapable de faire quoi que ce soit. La mort de Baleygr en était la preuve. L’absence de Rùnar, le simple fait qu’elle n’ait pas été en mesure de le sortir de l’emprise de Gunnhild en étaient la preuve. Tous les derniers événements n’étaient que la preuve profonde qu’elle avait beau avoir réalisé son Ascension, elle n’est pas celle que tout le monde attend. Et peut-être qu’elle ne le sera jamais. 

Elle n’avait pas entendu Urd entrer dans la pièce, et retint un sursaut quand elle se retourna avant de quitter les lieux. Ses yeux rougis par la tristesse et l’amertume, Helgi s’échappa hors de la Halle, fuyant les appels de Skuld et courut sans but le long du chemin, traversant les reliefs, les champs, et les forêts, jusqu’au bord de la falaise, où se trouvait le bûcher prévu pour le rituel funéraire. Le soleil déclinait doucement, l’aurore brillant de sa belle couleur orangée et chaude. Elle la laissa la réchauffer. Elle laissa aussi la brise jouer avec ses cheveux bruns et sécher ses larmes.

Urd prépara le corps de Baleygr, avec l’aide de plusieurs Kuolettava. Elle le nettoya, changea ses vêtements, et s’autorisa l’ajout de plusieurs bijoux et autres accessoires précieux. Elle enveloppa finalement Baleygr avec l’aide des Kuolettava, dans plusieurs larges pans de lin. Puis ils placèrent le corps dans ce qui avait l’apparence d’une coque de bateau, et quatres hommes le transportèrent jusqu’à l’endroit où était prévu le rituel. 

Skuld et Verdandi rejoignirent Urd et Helgi. Gunnar et les habitants de la ville assistèrent au rituel mais plus en retrait. Sa main droite jouant avec son collier, le catalyseur qu’Hyndllah lui avait offert, un renard argenté encerclant un saphir pur, Helgi écoutait à peine les chants et les paroles runiques prononcés par Urd. Quand ils cessèrent, Helgi laissa les émotions du moment l’envahir, écouta les pensées et reçut les ressentis de l’assemblée. Le renard était là lui aussi. Sa chevelure prit une teinte rousse, et s’allongea. De sa personne émanait une chaleur équivalente à celle du soleil qui doucement se couchait sur l’horizon. Elle s’avança vers le bûcher et dans un murmure elle fit apparaître la lance de son père, et deux sculptures dorées de corbeaux. Urd s’approcha et lui tendit plusieurs objets. Helgi sentit à nouveau la tristesse l’agiter. Elle plaça ainsi le livre que Baleygr lui avait toujours lu, et les armes qu’il avait rapporté de la première guerre contre le Chaos de Forvirring.

Sa main droite arracha le collier à son cou, brisant d’un coup sec la chaîne portant son catalyseur et le plaça sur le corps de Baleygr. Le soleil montrant ses derniers rayons, Helgi s’éloigna du bûcher et concentra l’énergie issue de ses émotions, et des ressentis de l’assemblée entre ses doigts. Et dans un murmure, elle enflamma le corps de son père. La brise vint à nouveau comme une amie pour sécher doucement les rivières de larmes sur ses joues, et pour l’apaiser. A quoi bon avoir un tel pouvoir ? Il n’avait pas réellement fait la différence… Avec ou sans, elle aurait échoué… Elle en était convaincue. 

Elle ferma alors les yeux, et cessa d’écouter les pensées qui l’envahissaient, de recevoir les émotions et de sentir les ressentis. Sa chevelure redevint noir ébène, ses traits redevinrent tels qu’ils avaient toujours été. Elle retourna vers la Halle, récupéra quelques affaires et se rendit à l’écurie où elle se choisit un cheval. Elle le prépara rapidement, l’enfourcha, à cru, et s’éloigna dans les terres verdoyantes de l’île, se moquant bien de savoir si on la chercherait ou non.

Elle ne sera jamais celle que le destin avait souhaité qu’elle soit. Elle en était convaincue. Alors elle sera et deviendra celle qu’elle voudra à présent.

Suite de la Saga dans

Herkkä 2 : The Valkyrie, the Dragon & the Deathbringer

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