14. SKJEBNE

DANS LES RUES DE VARANGAR, l’atmosphère était allégresse, rires, joie, et liesse. C’était le grand jour, le jour du marché. Les paysans, les pêcheurs, et les Insinööris vendant leurs plus belles créations en termes de tissus tous plus flamboyants les uns que les autres, de vêtements, d’armes, d’outils de travail ou encore de bijoux incroyablement précieux, tous animaient la place principale de la ville. Les habitants se prêtaient au jeu, les petits chapardeurs y trouvaient leur compte et les enfants retrouvaient leur terrain de jeu favori, courant les uns après les autres parmi la foule, sous les cris de leurs mères, fatiguées de les voir à nouveau se disperser dans tous les sens.

A la Citadelle de Lodd, la sérénité régnait. Sigurd se trouvait dans la chambre de Rùnar. Helgi savait qu’il s’était réveillé. A un moment, Sigurd était sorti pour aller chercher de quoi manger. Elle avait pu alors échanger quelques mots avec lui. Si Rùnar s’était réveillé, il n’était plus tout à fait le même.

– Il dit être fatigué ou épuisé, mais je vois bien qu’il me cache quelque chose… Il a l’air de lutter avec une part de lui-même qui ne lui appartient plus vraiment… Avait expliqué Sigurd.

Helgi retint un frisson, n’osant imaginer ce que cela pouvait être. Elle n’osa pas aussi proposer son aide, car elle se disait qu’il pouvait être dangereux d’envahir un esprit aussi instable et fragile. De plus, elle avait beau avoir effectué son Ascension, elle ne se sentait pas encore tout à fait à l’aise avec ses capacités. Elle laissa Sigurd retourner auprès de Rùnar, et décida de parcourir à nouveau les espaces, dont la Citadelle lui autorisait l’accès.

Ainsi, elle accéda à nouveau à l’endroit où elle effectua son Ascension. Le ciel bleu, parsemé de nuages blancs, apparaissait derrière le squelette des voûtes, et des piliers. Le vent lui caressait doucement le visage. Elle s’avança vers la table de rituel. Elle en fit le tour, sa main appréciant le toucher et le contact de la pierre blanche. Elle n’avait pas fait attention la veille, lors de son Ascension, mais la table portait des gravures dorées. Sur le bord, c’était une série de runes. Helgi n’en comprenait pas tout le sens, mais cela semblait raconter la première Ascension de manière poétique. Et sur les flancs de la table, les représentations imagées appuyaient le texte.

– L’Ascension de Lif.

Helgi sursauta en entendant Skuld. Cette dernière s’avança de l’autre côté de la table, face à Helgi. Un silence s’installa. Helgi avait un million de questions. Elle ne savait pas trop par où commencer.

– Je l’ai lue, finit-elle par dire. J’ai trouvé le carnet de notes de Lif à l’Atreum. Et Hyndllah m’a donné le sien, avant… avant de mourir.

Elle se déplaça longeant la table.

– Comment était-elle après son Ascension ? J’ai beau l’avoir faite… Je ne sais pas si je suis encore pleinement en contrôle… Est-ce que pour Lif c’était pareil ?

– Elle a été la première. Alors, c’était nouveau pour nous tous ici. Et étrangement évident à la fois pour mes Soeurs et moi. Mais tout comme toi, il lui a fallu du temps. L’Ascension est nécessaire pour te permettre d’écouter ton instinct et tes énergies, et de ne pas te laisser envahir par les émotions des autres et par tes émotions. Elle te permet d’accéder à l’écoute parfaite de ton don. De t’ouvrir à lui. D’accepter qu’il soit là. Mais il reste toute la partie de contrôle et de maîtrise. Il est normal que tu ne te sentes pas encore tout à fait prête…

Helgi se retrouva aux côtés de Skuld. Elle remarqua que la dame à côté d’elle portait toujours la même tenue. Encore une fois le motif de la cape la perturba. Les yeux et leur couleur aussi. Elle se retint de lui saisir la main et de trouver ainsi la confirmation de ses doutes par le biais de son pouvoir. Mais l’envie était bien là. Bien installée.

Skuld sentait le regard de la jeune fille sur elle. C’était dur et compliqué. N’était-ce pas trop tôt pour lui dévoiler qui elle était ? Finalement, Helgi finit par briser le silence la première :

– Les motifs de votre cape et de votre tenue… J’ai trouvé dans les affaires de mon père adoptif une armure et une tenue portant exactement les mêmes.

Skuld ferma doucement les yeux. Evidemment. Elle avait pourtant pris ses précautions. Elle ne pouvait pas vraiment en vouloir à Baleygr. Il avait au moins essayé. Elle n’avait simplement pas imaginé que sa fille soit aussi tenace et curieuse au point de fouiller dans les affaires de son protecteur.

– Je ne sais pas si cela est le fruit du hasard, poursuivit Helgi. Mais je me demandais… Ai-je un lien quelconque avec la Citadelle ? Depuis que je suis ici, j’ai une drôle d’impression… Comme si je l’avais déjà vue…

Comment cacher quelque chose à une Herkkä ? Skuld en avait déjà eu l’expérience avec Lif. Elles pouvaient si facilement lire et ressentir dans l’atmosphère d’un lieu les émotions vécues ou ambiantes. Alors évidemment qu’Helgi pourrait aisément finir par deviner l’origine d’une telle impression, si elle entrait dans la bonne pièce. Une chance que la Citadelle lui en interdisait l’accès. Mais même la Citadelle ne pouvait pas tout dissimuler, encore moins un lien aussi fort. Skuld avait imaginé un nombre incalculable de scénarios. Mais jamais elle n’avait envisagé qu’elle dévoilerait son identité de cette façon.

– Tu as raison, finit-elle par répondre après un moment, et après avoir bougé le long de la table prenant le temps de choisir ses mots. Tu as bien un lien particulier avec la Citadelle. Et concernant l’armure et les vêtements que tu portes, il ne s’agit pas de hasard. Elle a été faite pour toi, pour quand tu aurais atteint l’âge de la porter.

Helgi fut déstabilisée.

– Que voulez-vous dire ?

Alors Skuld plongea son regard dans celui de la jeune fille. Avait-elle vraiment besoin de le dire ? Les mots lui manquaient. Ou plutôt ils restaient bloqués au fond de sa gorge. Elle fixait sa fille dans les yeux, espérant qu’elle comprenne, ou que par l’atmosphère installée entre elles, Helgi trouve la réponse.

Mais un tremblement violent et un grondement sonore et lourd interrompirent leur entretien. Le ciel s’était brusquement assombri, des orages épais s’y formant. Sigurd apparut alors, essoufflé. L’inquiétude et la peur étaient installées sur son visage.

– Rùnar a quitté la Citadelle… Et dehors, les tempêtes de Chaos de Forvirring s’avancent…

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LE FROID MORDANT. L’odeur de la poussière. Le son déchirant du vent. Rùnar n’a pas besoin d’ouvrir les yeux pour savoir où il se trouvait. Lâchant un soupir, il se lève, et observe autour de lui. Il fronce légèrement les sourcils. Quelque chose a changé. Il n’y a qu’un désert. Le ciel s’est débarrassé de ses tempêtes, et la lune se présente comme l’unique astre céleste. La Cité des Orages n’est pas là. Derrière l’aspect très calme de ce désert, le froid ambiant, et le vent renforçant cette sensation et dessinant les dunes à l’infini, Rùnar a une impression de ne pas être totalement seul. Quelque chose ou quelqu’un peut surgir à tout moment. Il décide de se déplacer, tentant de se réchauffer, frottant ses mains sur ses bras. A rester immobile il finirait par être glacé sur place.

Marchant sans vraiment savoir où il va, la solitude se fait de plus en plus présente, bien qu’il reste au fond de lui une petite voix lui disant de ne pas s’y fier. Il n’y a pourtant pas un son, pas la moindre trace de vie, si ce n’est la sienne. Il erre ainsi, sur le qui-vive, pendant ce qu’il avait l’impression d’être des heures et des jours. S’il a faim ou soif ? Étonnement, il ne les ressent pas… Ou plus ? Un doute s’installe. Est-il mort ? En vie ? Cet espace est si étrange, qu’il ne sait plus vraiment. Une chose est sûre, cet endroit est rempli de Chaos. Il le sent, le Chaos emplit l’air ambiant, se montre oppressant, et sature l’oxygène.

Le désert se transforme subitement devant lui. Rùnar s’arrête trop surpris par le changement soudain de décor. D’immenses pins morts ou à moitié morts l’encerclent et le surplombent de toute leur hauteur. Sous ses pieds, la poussière est toujours là, mêlée à la mousse. Rùnar sent le Chaos toujours omniprésent dans l’air, mais il le sent aussi cette fois partout. Dans chacun des arbres, chaque brin de mousse, chaque branche et chaque brindille. Mais ce Chaos a quelque chose de terrible et de mortel. Il le remarque en voyant une fleur se faner petit à petit, doucement. Le Chaos autour de lui agit comme un poison. Dès qu’il en fait le constat, il le ressent s’insinuer en lui, dans ses veines, sous les couches de sa chair, dans ses os, dans ses nerfs, et ses organes. Il s’insinue petit à petit. Lentement. L’angoisse vient s’ajouter à ce cocktail dangereux, et son cœur se met à battre plus fort dans sa poitrine. Rùnar entreprend alors de sortir de la forêt.

Plus il s’enfonce dans la forêt, cependant, plus il sent le Chaos se faire omniprésent, rendant sa respiration compliquée, amenuisant son endurance, raidissant ses muscles et renforçant sa fatigue. Rùnar serre les dents, tentant de ne pas faire attention à la sensation désagréable d’une brûlure permanente dans chacun de ses vaisseaux, chacune de ses veines et chacun de ses nerfs nouvellement atteints par le Chaos. Son propre Chaos lutte contre le poison. Rùnar tente de ne pas penser non plus à la sensation de ce Chaos dans ses os, comme si petit bout par petit bout, ils se brisent. Il lutte pour que son esprit reste concentré et occupé uniquement par le fait d’avancer et de sortir de la forêt. Perdant l’équilibre, il finit par tomber au milieu d’une clairière. Son corps est une douleur pérenne, envahissante, et dévorante, à mesure que son Chaos se fait dévorer. Rùnar ne parvient plus vraiment à la mettre de côté. Elle est là. Et elle agit comme si elle cherchait à s’échapper de la prison charnelle, brûlant veines, vaisseaux, aortes, brisant les os, écrasant foie, poumons et cœur, et écartelant ses entrailles.

Des pas lourds se font entendre. Rùnar sait qui s’approche de lui. Allongé au sol, il n’a pas la force de se redresser. Gunnhild pose un genou à côté de lui, son mouvement produisant un courant d’air. Sa main au gantelet doré se posa doucement sur l’épaule de Rùnar.

– Pourquoi lutter encore quand tu sais au fond de toi que tu as perdu ?

Sa voix est d’un calme tragique. Tout en elle est le reflet d’un présage et un d’un chant funèbre.

– La douleur pourrait disparaître. Il suffit de cesser de te débattre. Pourquoi résister autant ?

Rùnar serre les dents, fronce les sourcils. Dans son regard rivé sur ce casque doré au-dessus de lui, brille toute sa haine et sa colère.

– Oh, tu peux me haïr autant que tu le souhaite. Tu peux aussi croire que tu pourras encore être sauvé.

Gunnhild se penche davantage, de façon à pouvoir murmurer à son oreille.

– Mais il est trop tard. Personne ne te trouvera. Tu t’es perdu. Tes amis ?

Un sourire terrible se dessine sur son visage.

– Ils ne pourront pas t’aider cette fois…

Rùnar vit alors le plus terrible des spectacles, un spectacle si terrifiant qu’il en hurla à s’en déchirer les cordes vocales.

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LES ORAGES S’ÉTAIENT ÉTENDUS DE FORVIRRING JUSQUE VARANGAR. Les Soldats du Chaos avaient envahi les plaines verdoyantes. Les armées du Chaos s’avançaient, les yeux bleus glacés brillant dans l’obscurité générée par les nuages, vers les murs de la ville. Les habitants, vivant en dehors des murs, avaient abandonné leur maison, avec femmes et enfants, laissant le superflu derrière eux, et se précipitaient vers les portes de Varangar pour trouver refuge derrière l’épaisse muraille. De l’autre côté des murs de Varangar, sous les orages et les tempêtes, la place du marché se vida, les cris remplacèrent les rires, les pleurs et la peur chassèrent la joie. Les hommes avaient ressorti leurs armures, les magis réchauffaient leur magie, pendant que les guerriers affûtaient leurs armes. Les Insinööris en fabriquaient de nouvelles quand elles étaient beaucoup trop rouillées ou dépassées. Ils fabriquèrent à nouveau des machines de guerre et les installèrent tout le long des murs de la ville.

La Jarl s’était préparée, avait envoyé un corbeau à Asfrid, et avait rejoint ses armées. Elle se distinguait par sa hache d’arme impressionnante, dont la lame était gravée d’une magnifique représentation de Fenrir. Son armure à la fois de cuir lourd et de métal semblait avoir été entièrement faite pour elle. Ses longs cheveux blonds avaient été tressés de façon qu’ils ne viennent pas la gêner dans le combat. Elle était respectée pour son courage, et sa force, tant elle impressionnait par son maniement d’une arme aussi lourde que sa hache d’une main et de sa magie de foudre de l’autre. Ceux qui l’avaient vu se battre il y a dix ans avaient gardé un souvenir mémorable de sa rage et de sa colère foudroyante, pouvant être bien plus terrible et foudroyante que les orages de Forvirring eux-mêmes.

De l’autre côté des murs, Gunnhild apparût enfin. Elle avait changé sa cape et son armure noires pour une cape rouge sang, tranchant avec son casque ailé, son bras et sa jambes dorés. Son armure était de cuir et d’argent. Elle surplombait ses bataillons de toute sa hauteur. Elle avançait lentement, suivant son armée, le Chaos autour d’elle dévorant toute forme de vie à chacun de ses pas, étendant ainsi un peu plus le désert de poussière et de mort derrière elle. Son épée, d’une longueur proportionnelle à sa taille, à lame dorée, brillaient d’un éclat mortel. Gunnhild la maniait d’une seule main et la faisait danser avec une telle vivacité, qu’il était impossible pour l’œil non aguerri d’en voir le mouvement. La Jarl de Varangar observait le spectacle depuis le mur de sa cité. D’un point de vue extérieur, elle restait impassible, froide, face au spectacle terrible se déroulant sous ses yeux, les villageois n’ayant pas pu fuir à temps se faisaient dévorer par le Chaos ou bien tuer par les soldats du Chaos, leurs cris déchirant l’espace. Mais au fond d’elle-même, le spectacle nourrissait une irrépressible envie de venger la mort de ses habitants.

L’armée du Chaos s’arrêta non loin des portes, noircissant d’ombres et de mort les abords de la Cité de Varangar. Sigurd et Helgi quittèrent à ce moment précis la Citadelle de Lodd, vêtus de leur armure, leur arme bien accrochée à leur côté. Ils devaient retrouver Rùnar.

Ce dernier avait atteint le mur d’enceinte, au niveau de la porte principale et y était monté. Son armure et la présence de ses armes avaient suffi pour tuer les doutes des soldats présents concernant sa soudaine présence. Un capitaine cependant remarqua son allure fatiguée, presque trop vulnérable. Rùnar avait les yeux rivés sur la marée noire présente de l’autre côté du mur, et n’entendit pas le capitaine lui ordonner de quitter les lieux. Son regard était alors fixé sur Gunnhild. Il savait qu’elle le voyait. Il avait la sensation terrible de l’avoir vu lui adresser un sourire en coin, alors qu’elle levait son bras, brandissant sa lame dorée sous le ciel de tempête.

Une secousse se produisit en lui. Il hurla de quitter le mur, de descendre et de fuir. Prenant tout le monde par surprise, tous le regardèrent abasourdi. Il hurla à nouveau, mais le bras de Gunnhild s’abattit, dans un geste implacable. Il fut alors trop tard pour fuir. Rùnar avait sauté du mur juste à temps, alors que le Chaos envoyé par Gunnhild explosa la porte et une bonne partie du mur avec, créant une brèche.

Les habitants fuyant vers la Halle, cherchant refuge et protection dans le cœur de la Cité, hurlèrent en entendant l’explosion. Les gravats avaient déjà écrasé des soldats et des habitants, tués d’autre sur le coup. D’autres encore soufflés par l’explosion s’étaient fracassé le crâne en contrebas. Il n’en fallut pas plus pour l’armée du Chaos qui pénétra dans les rues de la cité. Les orages grondèrent, et le choc des armées fit trembler l’atmosphère, l’espace et la terre, sous les cris de guerre.

Les magis déployaient toutes leurs ressources magiques, les guerriers laissaient parler leurs armes et se montraient aussi féroce que des bêtes sauvages. Gunnhild laissaient ses guerriers du Chaos envahir les rues, et traversa la brèche qu’elle avait créée, impérieuse, et terrifiante. Des magis de Varangar se dressèrent contre elle, prêts à déchaîner leur pouvoir. Un éclair cependant les séparèrent.

La Jarl s’interposa, et se montra tout aussi impassible. Gunnhild ne lui faisait pas peur. Elle l’avait vue une fois, il y a dix ans, et il y a dix ans, elle avait abandonné l’angoisse et la peur à Forvirring, devenant à Varangar aussi solide que la falaise sur laquelle reposait sa cité, pouvant se montrer aussi déchaînée que l’océan qui s’acharnait sur ses côtes.

Le combat entre les deux femmes s’engagea dans un choc terrible. Les deux Chaos s’opposaient, le métal de la hache se montra aussi tranchant et vif que la lame dorée. La précision dans chaque attaque et chaque parade souligna la maîtrise et la force de la Jarl. Cependant, Gunnhild ne montra pas le moindre signe de fatigue, même après plusieurs heures, blessant bien plus son adversaire.

La Jarl finit par tomber, un genou à terre, le nerf de son bras maniant la hache venant d’être rompu. La fatigue et la perte grandissante de sang l’avait grandement affaiblie. Elle se montra alors si vulnérable devant l’immense puissance de Gunnhild, qui malgré ses blessures avait encore de l’énergie à revendre.

Celle-ci brandit son épée, prête à porter le dernier coup, lorsqu’un immense corbeau transperça de ses serres l’épaule porteuse de la lame dorée et vint lacérer de son bec la chair. Un second corbeau attrapa les bords de la cape de la Jarl et l’éloigna de Gunnhild dans un claquement d’aile. Le cor d’Asfrid se fit entendre et Baleygr se dressa face à Gunnhild. Celle-ci parvint à chasser le corbeau de son épaule. De sa main non blessée, elle pressait son épaule ensanglantée.

Autour d’eux, la mort s’installait, absorbant toute forme de vie. Ni feu, ni flammes, le Chaos suffisait à réduire la ville en champ de ruine, le sang noircissant les rues et les pavés, les bâtiments et l’atmosphère devenant lugubres, les cadavres s’amoncelant dans la Cité.

Aucun des deux ne bougeaient, et personne n’osait s’approcher du périmètre où ils se tenaient tous les deux. Leurs puissances s’opposaient. Baleygr avait encore l’amertume de la mort d’Hyndllah en lui. Mais il représentait une nuisance pour Gunnhild. Un obstacle trop gênant.

– Retourne d’où tu viens, Porteuse de Chaos. Lança Baleygr, menaçant.

– Pas tant que j’aurais mis la main sur ce que je cherche. Ou plutôt qui. répondit-elle sur le même ton.

Pendant ce temps, Sigurd et Helgi luttaient contre les soldats du Chaos qui se dressaient sur leur chemin. Helgi utilisait davantage son glaive de manière approximative, suivant comme elle pouvait les conseils de Sigurd. Le garçon usait davantage de son pouvoir de feu pour leur ouvrir la voie plus rapidement. Helgi ne savait pas comment son pouvoir pouvait lui permettre de se battre, alors elle faisait comme elle pouvait, apprenant le maniement d’une arme sur le tas. Leur objectif était de retrouver Rùnar au plus vite.

Baleygr fronça les sourcils. Qui est-ce que la Porteuse de Chaos cherchait ? A Varangar surtout ? Gunnhild se redressa, malgré la douleur qui envahissait son épaule blessée.

– Je ne te dévoilerai pas ce que je recherche. Ni qui. Et si pour y parvenir, Varangar doit tomber, alors qu’il en soit ainsi. Déclara-t-elle.

Autour d’eux l’atmosphère fut soudainement envahie d’une quantité de Chaos pouvant tuer n’importe quel être mortel. L’œil unique de Baleygr brilla intensément dans l’obscurité ambiante.

Gunnhild resta imperturbable, droite, prête à user de sa magie dès le moment le plus opportun. Il suffit d’un coup de tonnerre pour que les deux adversaires engagent une bataille de sorts et de magie du Chaos sans précédent. Baleygr avait l’avantage de ne pas être blessé, et de pouvoir utiliser ses deux mains, dans lesquelles il fit apparaître sa lance.

Helgi entendit le choc du combat et s’arrêta dans sa course. Elle n’avait jusqu’ici jamais fait attention à ce qu’il se passait autour d’elle. Elle découvrit le champ de morts qu’était devenu la ville. La poussière et le Chaos petit à petit envahissait et dévorait les rues, les guerriers du Chaos noircissait le tout du sang des hommes et des magis se dressant sur leur route. De vives émotions envahirent le cœur et l’âme d’Helgi. Pourquoi un tel déchaînement sur cette ville si pleine de vie ? Il lui sembla alors plus qu’important de faire cesser le massacre. C’était son devoir, son rôle… Sigurd la sortit de ses pensées, tuant un soldat du Chaos qui s’apprêtait à l’attaquer par derrière. Elle reprit sa course avec son ami, et ils finirent par retrouver Rùnar.

Depuis l’ouverture de la brèche, ce dernier n’avait été que l’ombre de lui-même. La présence de Gunnhild et de son Chaos avait aggravé son mal. Dans sa tête, des voix l’invitaient sans fin à les rejoindre, et à prendre parti de Gunnhild. A tuer les guerriers de Varangar, blessés, hurlant leur douleur. Mais il entendait et voyait aussi les morts le suppliant de les guider vers l’après.

Il avait la sensation de devenir fou, au point d’en avoir la nausée. Il vit Sigurd et Helgi apparaître devant lui. Ne sachant plus distinguer la réalité du reste, il tenta de les faire disparaître. Sigurd se saisit de lui et le secoua, répétant son nom.

– Rùnar ! C’est moi, Sigurd !

Cela suffit pour ramener Rùnar à la réalité.

– … Partez… Laissez-moi…

Helgi stoppa Sigurd et s’occupa de Rùnar. Elle le fit s’assoir, et lui prit les mains.

Elle inspira lentement et se laissa guider, comme elle l’avait fait lors de l’Ascension, fermant doucement les yeux. Sa chevelure noire s’allongea, ses cheveux prirent une teinte rousse, ses ongles prirent légèrement l’apparence de griffes. Il émanait d’elle une forme de chaleur et de douceur. Elle rouvrit ses yeux. Ils n’avaient pas changé.

Elle sentit les peurs et les douleurs de Rùnar. Elle ne pouvait rien faire pour ses douleurs physiques, mais elle parvint à apaiser ses émotions.

– Tu n’es plus seul Rùnar, tu ne l’as jamais été et tu ne le seras jamais.

– Je sais déjà, Helgi, l’issue de tout ça. Elle me l’a montré. Et j’ai essayé… J’ai essayé de la chasser…

Helgi perçut alors ce qu’il y avait de plus terrible en son ami. Sa magie était si basse, dévorée presque entièrement par le Chaos parasite. Elle en tremblait. Et elle plongea dans son esprit, guidée à nouveau par le Renard. Mais elle fut repoussée violemment par Rùnar.

– Tu ne comprends pas, Helgi… Il est trop tard…

Helgi et Sigurd virent Rùnar changer. Sigurd l’avait déjà vu temporairement lorsqu’ils fuyaient Forvirring. Il découvrit à nouveau Rùnar grandir, sa chevelure blanchir, sa peau devenir si pâle qu’elle donnait l’impression de pouvoir voir en partie le squelette au-dessous, son physique s’affiner, et tout son être devenir aussi terrible que la mort elle-même. Son Chaos émanait de son être et d’un mouvement simple de la main, les morts se redressèrent, les ombres apparurent et tous gonflèrent les rangs de l’armée du Chaos.

De son côté, Gunnhild sentit la présence nouvelle des morts et des ombres. Un sourire se dessina sous son casque.

– Je l’ai trouvé. Il est temps d’en finir.

Elle se précipita sur Baleygr, libérant toute la puissance de son Chaos et brisant la lance de Baleygr, elle plongea jusqu’au plus profond de l’âme du Borgne, la main plaquée sur son visage et dévora tout le Chaos en lui. Pris totalement par surprise, Baleygr hurla et se laissa tomber au sol. Il se sentait vide, impuissant. Il parvint malgré tout à rassembler sa force physique et ramassant la hache de guerre de la Jarl de Varangar, il parvint à arrêter net l’épée qui allait s’abattre sur lui. Gunnhild montrait des signes de fatigue, la lutte avec Baleygr lui ayant soutiré beaucoup d’énergie. Elle l’attaqua à nouveau, une première fois, puis une deuxième, et une troisième, Baleygr para les trois coups, mais cela devenait de plus en plus compliqué pour lui. Elle lui assena un quatrième puis un cinquième coup, et le sixième fut fatal pour Baleygr, une feinte de la part de Gunnhild ayant réussi à briser sa défense pourtant parfaite.

Les ombres et les morts de Rùnar encerclaient Helgi et Sigurd, lorsqu’elle ressentit soudainement une perte terrible en elle. La même qu’elle avait ressenti lors de la mort d’Hyndllah.

La déchirure fut si violente, qu’elle la laissa prendre toute la place. Son collier brilla fortement, et son aura se gonfla sous la douleur et la puissance de ses émotions. Elle hurla et concentra son énergie magique dans sa main. La lumière concentrée dans celle-ci pris la forme d’une longue épée argentée. Une fois, celle-ci bien présente dans la main de la jeune fille, celle-ci renforça sa prise, fermement, sur le manche.

Et tout fit sens. La sensation pour Helgi était irréelle. C’était comme si elle avait toujours su la manier. Si les ombres avaient fui rien qu’à la vue de la lame, les morts en furent déstabilisés et Helgi les trancha d’un mouvement de bras.

Elle se précipita sur Rùnar, et l’assomma d’un coup violent de pommeau sur sa tempe, puis poursuivit sa route plus haut dans la ville et trouva Gunnhild, Baleygr allongé à ses pieds. Helgi vit le sang de son père adoptif noircir les pavés sous les pieds de l’impressionnante femme bien que blessée. Animée par sa rage et sa colère, Helgi concentra sa magie sur sa nouvelle lame et se jeta sur Gunnhild. Celle-ci para le coup, mais fut malgré tout repoussée plus loin sur plusieurs mètres. Helgi l’avait éloignée de Baleygr, mais elle se jeta à nouveau sur Gunnhild. Celle-ci para à nouveau et de son Chaos elle repoussa Helgi. Gunnhild profita qu’Helgi prenne le temps de se relever, pour se redresser également, et ainsi lui faire face correctement.

– C’est donc toi, la nouvelle Herkkä…

– Tu as pris Hyndllah, tu as pris mon père, je ne te laisserai pas prendre Rùnar ! cria Helgi

– Oh… Je vois. Sourit Gunnhild. Tu n’es pas de taille, chère enfant.

Helgi ne se laissa pas démonter. Elle renforça sa prise sur son épée et attaqua à nouveau Gunnhild. Sa lame rencontra celle dorée, et à cet instant, Helgi tenta de frapper Gunnhild de son pouvoir mais le Chaos de Gunnhild fut plus brutal et plus rapide. Elle le sentit l’envahir, s’insinuer dans ses bronches, bloquer son diaphragme et alourdir ses poumons.

– … Personne ne m’empêchera d’accomplir ma vengeance. Personne… Pas même toi.

Gunnhild s’éloigna, laissant Helgi se débattre pour se défaire du Chaos qui la dévorait. Elle redescendit, et trouva Rùnar. Sigurd s’interposa mais Gunnhild le repoussa, la chute assommant le jeune garçon. Rùnar conduisit alors Gunnhild et l’armée du Chaos jusqu’au pont de la Citadelle de Lodd.

Les Soeurs avaient bloqué l’accès, mais Gunnhild parvint à détruire la porte. Cependant ses blessures la faisaient souffrir et sa magie s’amenuisait. Elle laissa alors Rùnar guider son armée et guider les morts et les ombres dans la Citadelle.

Skuld se rendit au sommet de la plus haute tour de la Citadelle et y libéra toute la puissance de sa nature de guerrière ailée, déployant ses ailes, brandissant son arme et sa magie. Elle prononça alors les mots célestes, et son chant terrible résonna tel le tonnerre. Alors le pont de la Citadelle implosa sous l’armée du Chaos.

Urd et Verdandi la rejoignirent, prononçant les chants du passé et du présent, insufflant la vie à la Citadelle, changeant sa configuration, déroutant les soldats à l’intérieur, et les écrasant. Rùnar et Gunnhild furent repoussés loin de la falaise. Dans la tour, les trois Soeurs concentrèrent leur magie formant un orbe qui finit par imploser, l’onde se propageant jusqu’au-delà des murs de Varangar, repoussant tout le Chaos qui s’y trouvait. Gunnhild avait usé de ses dernières forces pour se protéger et pour protéger Rùnar, de l’implosion, et fut alors contrainte de faire marche arrière.

UN SILENCE TERRIBLE S’INSTALLA DANS LA VILLE. Les habitants qui avaient survécu sortaient de leur cachette. La poussière du Chaos, le sang et la mort régnaient dans les rues. Les femmes pleuraient leur mari mort. Les enfants se serraient contre leurs mères, perdus face à ce qu’était devenu leur terrain de jeu favori. Les couleurs avaient disparu. Les mères serraient, impuissantes, le corps de leur fils. Les visages étaient fermés. Les Lähoitaja récupéraient les blessés et les emmenaient dans la halle du Jarl. Plusieurs d’ailleurs s’occupaient de cette dernière, gravement blessée à la suite de son combat contre la Reine de la Cité des Orages.

Helgi était assise près du corps de Baleygr. Suite au départ de Gunnhild, le Chaos qui l’avait rongée, s’était dissipé. Elle ne bougeait pas d’un pouce. Les larmes noyaient ses joues. Elle avait encore la sensation terrible du Chaos de Gunnhild en elle. Physiquement, cependant, tout était redevenu tel qu’il était habituellement. Sigurd avait été conduit à la Halle et reposait parmi les blessés.

Personne donc ne prêta attention à Urd, Verdandi et Skuld, bien que pour la première fois, elles traversaient Varangar aux yeux de tous. Elles trouvèrent d’abord Helgi. Skuld sentit son cœur se serrer à voir la jeune fille ainsi. Elle la prit dans ses bras et l’aida à se relever. Urd appela deux Lähoitaja et se fit aider pour s’occuper du corps de Baleygr.

Verdandi chercha Sigurd et le trouva à la Halle. Un Lähoitaja était en train de le soigner. Verdandi le laissa terminer et avec son aide, elle porta Sigurd.

Toutes les trois se retrouvèrent ainsi au port de Varangar. Urd fit installer le corps de Baleygr, Verdandi installa Sigurd dans une des cabines et Skuld était avec Helgi sur le pont. Les Lähoitaja quittèrent le navire et dans un murmure, Skuld fit gonfler les voiles et le navire quitta le port ainsi.

Blottie dans les bras de Skuld, Helgi regarda la côte s’éloigner, les ruines de Varangar avec elle.

– Où allons-nous ? demanda-t-elle faiblement.

– L’archipel de Poranterä.

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