SIGURD S’ETAIT RENDU A L’ATREUM, seul, lorsque Rùnar et Helgi dormaient. Il avait ressenti le besoin de s’y trouver seul, sans risque d’être interrompu. Le premier soir lorsqu’ils étaient arrivés dans l’Atreum, il avait repéré une étagère en particulier. Cette nuit-là, donc il décida d’aller lire les livres qu’il y avait repéré. Il ne sut trop pourquoi, mais il s’y rendit tout en essayant de ne pas faire de bruit. Il se faufila dans les couloirs et passa la porte de l’Atreum en essayant de ne pas trop la faire grincer. En entrant, de nouveau il était subjugué par l’architecture tout de même incroyable du lieu. Il laissa ses yeux regarder l’endroit dans ses moindres détails, que ce soient ses gravures, ses sculptures, ou les vitres de couleurs. Puis il se concentra sur ce qu’il était venu trouver. Il refit tranquillement le tour des étagères du bas, avant de monter sur une des tribunes. Il retrouva le titre du livre, Sigurdasaga. Il prit le livre, soucieux de ce qu’il allait y lire. Il s’installa au pied d’une des fenêtres, profitant de la lumière lunaire pour pouvoir commencer la lecture. Il hésita cependant à l’ouvrir, anxieux. Était-ce réellement une bonne idée ? La curiosité, l’envie et l’inquiétude formait un coktail étrange. Son cœur en battait la chamade.
Il se décida alors à l’ouvrir. Il allait tourner après la première page, quand les pages se tournèrent toutes seules. Il se sentit soudainement comme hypnotisé. Le livre lévita dans entre ses mains. Ses yeux perdus dans le vide, un voile semblait s’y être posé. Et les souvenirs commencèrent à défiler dans sa tête.
Il vit sa naissance, le sourire et le bonheur d’un homme aux cheveux blonds le crâne rasé sur les côtés, tatoué, ses cheveux longs coiffés de multiples tresses serties de perles gravées argentées, des yeux d’un vert vifs, des vêtements richement brodés… Père… Forseti serra une femme, Lif, incroyablement belle, à la chevelure de feu, ondulés, tombant sur ses épaules, certaines de ses mèches étaient également tressées, aux yeux verts, serrant dans ses bras un nouveau-né… Mère… Arriva, enjouée une petite fille, espiègle, âgée de 3 ans, accourant vers eux, heureuse de rencontrer son petit frère. Elle avait les cheveux blonds comme son père, longs et ondulés comme sa mère, et leurs yeux verts… Bryn… Sigurd sentit son cœur se serrer.
Le souvenir s’évapora. Il vit alors son enfance, les entraînements de combats et de magie, les moments où il jouait avec Brynhilde dans les couloirs, rejouant les héros de leurs contes favoris. Une nouvelle image prit la place. Malgré le temps ensoleillé, malgré l’endroit très romantique, tel un jardin fleuri, la tristesse était présente. Son père les serrait tous les deux, Brynhilde et lui, Sigurd. Un bûcher brûlait, des objets divers et variés présents dessus. Il se vit ramasser les cendres dans une urne, une fois le feu enfin éteint. Puis le lieu changea, et, suivi de son père et de sa sœur, il se vit aux bords de la falaise, vidant les cendres, emportées alors par le vent, vers la mer… Mère est morte… Les deux enfants n’avaient pas plus de 10 ans.
De nouveau, le décor changea. Il rencontrait Sigyn et Rùnar à présent. Son cœur rata instinctivement un battement dès qu’il revit ces yeux noisette, ces lignes du visage bien trop parfaites, cette courbe des soucils, la chevelure sombre, maladroitement attachée, ces lèvres arborant un petit sourire en coin. Sigurd revit son adolescence, il revit les moments où Brynhilde tombait malade, son père s’affaiblir au fil des ans. Il revit Rùnar grandir, les lignes de son visage et de son corps devenant plus précises, et plus masculines. Les souvenirs l’assaillirent de plus en plus. Il avait aidé Brynhilde à comprendre son pouvoir, fouillant la bibliothèque du palais. Les souvenirs de son adolescence avec Rùnar faisaient renaître des sentiments perdus, enfouis. Ils dégageaient à nouveau une chaleur diffuse, faisaient battre doucement son cœur. Il se rappelait l’intelligence, l’empathie, la pédagogie, la finesse et la force d’esprit de Rùnar. Il se souvenait combien il avait appris avec lui. Que c’était grâce à lui et avec lui qu’il avait fabriqué l’anneau pour Brynhilde. Qu’il l’avait toujours soutenu pour guider Brynhilde et trouver des réponses. Qu’il l’avait toujours réconforté et effectué des recherches pour guérir le mal dévorant de son père. Il a toujours été là… Sigurd sentit sa poitrine se serrer. Une larme coula de ses yeux, voilés pendant son voyage dans son passé. Il revivait les moments juste avec lui, interdits, secrets et presque criminels, contraire à leur essence, et sacrilèges. Mais pour rien au monde, il ne les regrettait. Les retrouver et les revivre, c’était comme retrouver un trésor perdu.
Un souvenir soudain réapparut. Il avait entendu des cris, du bruit dans la chambre de Sygin. Elle usait de son pouvoir pour battre Rùnar, elle le dénigrait, criait qu’ils n’étaient pas venus pour intégrer la famille de Forseti mais se venger. Sa main enserra la mâchoire de Rùnar, le forçant à la regarder dans les yeux : « Avant toi… j’avais eu un garçon… Un. Magnifique. Garçon… Mais punir ton père n’était apparemment pas suffisant pour les dieux… Oh je ne suis pas en train de dire qu’il ne méritait pas sa punition… Mais… Mais apparemment il fallait aussi punir sa famille… Ma famille… » La voix de Sygin se brisa, ses dents grincèrent, sa mâchoire se serra, tandis que par son pouvoir, elle faisait pression sur Rùnar, coupant son souffle. Les yeux de sa mère remplis de larmes brillaient d’une lueur aussi sinistre que sa voix : « Ils ont enlevé Narfi… Mon Narfi… Ils l’ont égorgé comme on égorge une chèvre… Mais ça ne suffisait toujours pas… Ils l’ont dépecé, le vidant de ses organes… Un par un… Avec, ils en ont fait des cordes… Et avec ces cordes, ils ont ligoté ton père à un rocher, au sommet duquel ils ont accroché un serpent, dont le venin tombait, goutte après goutte, sur son front… » Elle resserrait sa prise, Rùnar visiblement partageant la douleur de sa mère. Terrifiante, elle poursuivit : « Pour punir ton père, ils ont assassiné mon fils… Et tu oses te comporter de manière si amicale et agréable avec cette famille… Tu aurais eu un frère aîné si pour venger la mort de leur ancêtre, ils ne s’en étaient pas pris à mon Narfi… Alors maintenant tu vas m’écouter bien attentivement… » Sigurd réalisa alors qu’il avait toujours su… Il avait toujours su que Rùnar n’aurait jamais fait quoi que ce soit contre lui, ou sa famille. Sauf contre sa propre volonté…
L’hypnose s’acheva brusquement, le livre se refermant dans un coup sec, faisant alors écho, et Sigurd vit à nouveau l’Atreum autour de lui. Sigurd sursauta et se releva, en voyant Urd et Verdandi devant lui, droites, impassibles, Urd tenant le livre entre ses mains pâles et squelettiques.
– Tu t’es suffisamment plongé dans ton passé, mon garçon. Dit Urd.
– N-Non ! Laissez-moi me rappeler davantage ! s’écria Sigurd
– Estime-toi heureux que j’ai pu mettre un terme à ton plongeon. Répondit-elle froidement.
Verdandi fit un pas en avant lui prenant doucement le bras :
– Mon garçon. Dans une étagère comme celle-ci, les livres ne fonctionnent pas comme des livres ordinaires. Les souvenirs que tu revis ont une consistance et une essence extrêmement réelles. En y plongeant, le livre peut pousser une âme mortelle à rester dans un de ses souvenirs, usant de la nostalgie, du manque, de la tristesse ou de tout autre émotions essentielles qui se joue et qui peut pousser alors l’âme mortelle à rester dans le souvenir et donc dans le passé. Le livre lui fait alors oublier qu’il ne s’agit que d’un souvenir. L’âme alors s’y perd, s’oublie et finit par mourir, le corps s’étant éteint dans le présent.
Sigurd comprit aisément ce qu’elle voulait dire. Tous ses souvenirs des moments passés avec Rùnar avaient été des moments si précieux, où il avait retrouvé les sensations passées, nostalgiques. Il hocha la tête. Urd remit le livre à sa place. Il demanda :
– Je… Je pourrais le relire ? Une prochaine fois ?
Verdandi secoua la tête :
– Dorénavant, tu devras t’éloigner de l’Atreum…
– Quoi ? Mais…
– J’en suis navrée, mais tu as goûté au Savoir du Passé. Le livre et l’Atreum voudront que tu reviennes, que tu plonges à nouveau, ils t’appelleront, plus que jamais à présent. Je te l’ai dit, le livre se nourrit de la nostalgie, de la tristesse et des émotions essentielles qui nous poussent à vouloir parfois retourner dans le passé. Il a goûté à tes émotions, mais nous l’avons arrêté juste à temps. Maintenant, il voudra à nouveau y mettre les dents. Tu comprends ? expliqua Verdandi.
Sigurd mit un temps pour digérer l’information. Il soupira et finit par hocher la tête, faisant comprendre qu’il suivrait le conseil. Inquiet cependant, il demanda :
– Et Helgi ? Et Rùnar ?
– L’Atreum ne leur fera rien. La Cité y veillera si tu t’en tiens à l’écart à présent.
Verdandi raccompagna alors Sigurd hors de l’Atreum et jusque sa chambre, pendant que Urd murmura les ordres à la Cité. Lorsqu’elle eut fini, Sigurd sentit des vibrations générant des nausées et faisant siffler ses tympans, qui disparurent à mesure qu’il s’éloignait de l’entrée de l’Atreum.
※
RÙNAR SE REVEILLA LEGEREMENT. Les yeux à moitié ouverts, il remarqua que le soleil n’était pas levé, la nuit battant encore son plein. La chaleur l’avait pourtant réveillé. Ce fut à ce moment qu’il comprit. Il sentit qu’il n’était pas seul. Ou plutôt, qu’il ne l’était plus. Quelqu’un s’était collé à lui dans son sommeil. Et quelqu’un semblait vouloir, du bout des doigts, redessiner la ligne de ses sourcils, et de sa tempe, peut-être aussi de tenter de resculpter l’os de sa pommette et la ligne de sa mâchoire. Sans ouvrir les yeux, il l’avait reconnu. La chaleur de son souffle et sa caresse, son parfum et sa manière dont ses doigts osaient à peine le toucher, comme s’il avait peur de le brûler ou de le briser, il savait qui était là. Il se tourna sur le côté, se rendant plus proche de celui qui s’était glissé sous ses draps pendant son sommeil. Sa main glissa sur la taille, calant ainsi son bras sur le corps que ses doigts, malgré les vêtements, avait reconnu la courbe. Pleinement réveillé, ses yeux noisette s’ouvrirent et se perdirent dans les yeux verts de Sigurd.
– Il s’est passé quelque chose ?
Sigurd avait l’air désolé et perturbé. Il mentit :
– Non…
Rùnar sourit légèrement. Il effleura le front de Sigurd, écartant quelques mèches vers sa tempe.
– Tu sais… Tu as toujours eu l’habitude de venir me rejoindre dans mon sommeil si tu étais inquiet, ou triste… ou s’il s’était passé quelque chose…
Sigurd sentit une chaleur envahir ses joues, se renforçant sous le passage des doigts de Rùnar.
– Et tu ne peux pas mentir… Ajouta le brun.
Sigurd déglutit, sa gorge s’asséchant, légèrement. Il ferma un moment les yeux, appréciant la sensation d’une forme de chaleur se diffusant dans son corps. Il rouvrit les yeux, et les mots lui venant naturellement :
– Je me rappelle tout… Presque tout… Je me suis plongé dans mon passé, dans mon livre…
Rùnar écarquilla les yeux. Il l’écouta encore plus attentivement, voulant décider de s’il pouvait en être heureux ou non.
– Je me rend compte de tout ce que j’ai pu oublier… De toute la mémoire qui s’était effacée…
Ses yeux commencèrent à s’humidifier. Rùnar le laissait terminer, aucun des deux n’osant rompre le contact visuel.
– Je savais que ta mère voulait se venger… J’ai toujours su aussi comment elle te traitait… Malgré tout, je n’ai rien fait… J’aurais pu t’aider. J’aurais pu agir. Mais je n’ai rien fait. La guerre a eu lieu, nos parents et Bryn sont morts. Et après tout cela, après m’avoir tiré de Forvirring, je t’en ai voulu… Je t’ai haï si fort…
Il finit par se serrer contre Rùnar, ses bras passant dans son dos, renforçant sa prise sur le brun, le visage contre son épaule, les larmes coulant en silence.
– Pardonne-moi…
Rùnar le serra dans ses bras. Sa main glissa dans les mèches de feu de Sigurd. Son cœur battait fort.
-Il n’y a rien à pardonner, Sigurd. Tu avais perdu la mémoire. Et quand bien même tu avais voulu anticiper, qu’aurais-tu pu faire ? Sygin. Il n’y avait que ton père capable de lui tenir tête et peut-être Bryn, en mesure de la vaincre. Même à deux, on n’aurait jamais pu faire le poids. Tu serais mort avant la guerre, et elle aurait accompli tout de même sa vengeance.
Sigurd serra Rùnar, le visage enfoui dans le creux de son épaule, le temps que les larmes s’assèchent.
– C’est moi qui devrait m’excuser. C’est moi qui t’ai poussé à ôter la vie de ton père. Je ne sais pas si tu me pardonneras mais je suis prêt à tout sacrifier pour y arriver.
Sigurd se recula peu après, légèrement, juste assez pour que son visage face à nouveau face à celui du brun. Juste assez pour qu’à nouveau il se noya dans son regard. Juste assez pour apprécier la caresse rafraîchissante de la respiration du brun sur ses lèvres.
– Tu n’as pas besoin de sacrifier quoi que ce soit. Juste…
Se faufilant sous la tunique du brun, ses doigts retrouvèrent la fraîcheur de sa chair. Placés sur sa taille, ils l’attirèrent vers lui. Il murmura :
– Fais moi le serment. Fais moi le serment de ne jamais nous séparer. Que même dans la mort tu seras toujours à mes côtés.
Ils grimpèrent sur le dos, affleurant la ligne de ses vertèbres. Cette sensation glacée, il ne l’avait pas oubliée.
– Jure-le…
– Je le jure…
En lui, une étincelle se produisit à nouveau. Son corps se serra davantage à Rùnar. Il lâcha un soupir, laissant échapper de l’air tiède.
– Rùnar….
La braise, en son sein, brûla, ses joues prenant alors une teinte rosée. Sa peau lui semblait s’embraser sous le toucher glacé de Rùnar, sa main redécouvrant ses hanches et son ventre.
Le feu ainsi attisé, grandit. Son souffle se réchauffa, libéré par ses soupirs. Ses lèvres retrouvèrent celles de Rùnar, celles-ci fondant sous leur toucher ardent, savourant la fraîcheur de chacun des soupirs et de chacune des respirations se déversant sur sa gorge fiévreuse. L’incendie se répandit, dévorant, jusqu’à son ventre.
Sigurd laissait l’embrasement prendre le dessus, celui-ci se montrant presque insatiable. Si sa mémoire lui avait fait défaut, sa main se souvenait de la pression à exercer pour faire fondre davantage la chair, et de la caresse à effectuer pour la faire frissonner, glissant entre les cuisses de Rùnar. Ses lèvres se rappelaient où embrasser pour en savourer son goût sucré et glacé. Son corps savait comment réentendre la douce mélodie de ses soupirs, comment lui faire répéter inlassablement à chaque respiration, le même murmure.
– Sigurd…
Il n’y avait comme toujours que la Nuit et la Lune comme témoins de ce moment unique où la braise et la glace pouvait se mélanger, sans nuire ni à l’une ni à l’autre. Le seul et unique instant où feu et givre pouvaient faire qu’un, et ce jusqu’à ce que le brasier ait tout consumé et la brise glacée tout apaisé. S’ils avaient à nouveau renié leur essence, rejeté le Sacré, ils n’en faisaient encore une fois que peu de cas. Leur cœur avait retrouvé ses harmonies, et leur âme se sentait à nouveau complète.
Le Destin voudra toujours nous séparer, mon âme ambrée brillera inlassablement, éclairant le chemin dans l’obscurité pour rejoindre la sienne. Je jure, même jusque dans la mort, qu’elles sauront toujours se retrouver. Pensa Sigurd.
※
A L’AUBE, RÙNAR SE REDRESSA, REGARDANT SIGURD ENDORMI. Il se rhabilla sans bruit, jeta un dernier regard vers Sigurd, et quitta la pièce. Il traversa rapidement les couloirs et retourna à l’Atreum, où il fit le tour des bibliothèques dédiées aux familles. Il finit par trouver les livres portant le nom de son père, de sa mère, de son frère et le sien. Lequel choisir ? Il hésitait. Ne pas se tromper. Il finit par choisir celui de Loki. Il l’ouvrit, le livre lévita, ses pages tournèrent frénétiquement, et il se retrouva transporté dans le passé et les souvenirs de son père. Tout changea autour de lui. Tout lui paraissait réel. Cependant, un grondement se fit entendre, le livre se mit à vibrer et des voix au fond et autour de lui répétaient que tout ceci ne lui appartenait pas, qu’il n’avait pas à voir tout cela. Mais Rùnar voulait ses réponses. Il les désirait si ardemment. Le livre et Rùnar commencèrent alors à lutter l’un contre l’autre.
Le passé défilait devant ses yeux, comme dans une tempête. La naissance de Loki, élevé par sa mère Laufey. L’union de ses parents proscrite, interdite et punie par les dieux, poussant Laufey à élever son fils, seule, Loki vivant une enfance et une adolescence en marge de sa fratrie. Cette façon qu’ont eu les dieux de considérer Laufey et son fils comme des moins que rien, avait planté dans le cœur et dans l’âme de Loki une envie irrépressible et insatiable de vengeance. Loki trouva ainsi un avantage considérable à grandir dans l’ombre, en retrait des dieux. Il put les analyser, les étudier, cerner leurs qualités, mais surtout leurs défauts. Mais avant tout et surtout, il travailla sa magie, s’entraînant à la métamorphose, jusqu’à l’épuisement. Il affuta son intelligence et son esprit, plutôt que ses muscles, car après tout, sa magie devenant extrêmement précise et puissante, il n’avait pas vraiment besoin de muscles…
Adulte, Loki était devenu splendide, au physique trop parfait, suffisamment ambigu pour faire naître le doute pour un œil peu expérimenté. Impérieux, grand, les yeux dorés, brillants et perçants, la chevelure noire et longue, le regard et le sourire plein de malice, il avait indéniablement un charisme naturel. Un cœur sensible pouvait aisément se laisser charmer. Adepte du mensonge, absolument tout ce qu’il disait paraissait si vrai. Rùnar le sentait à mesure que les événements de la vie de son père défilaient sous ses yeux. Sa raison lui dictait de ne pas croire les mots de son père, mais son cœur désirait lui faire confiance. Mais cela suffisait pour faire naître un doute dans le cœur des dieux. Un doute suffisamment fort pour qu’ils se méfient de lui. Son intelligence cependant, lui permit de conclure un pacte de sang avec Baleygr, obligeant alors les dieux à le traiter comme leur égal. Bien sûr que cela irrita les autres, mais les voir ronger leur frein suffit à lui faire plaisir. Car qui oserait réellement juger et dire à voix haute que Baleygr s’est fait manipuler ? Qui oserait traiter Baleygr de naïf, cet homme qu’il jugeait le plus intelligent de tous ?
Si Loki s’amusait avec leurs nerfs, les mettant à rude épreuve et jouant souvent avec leur patience, il semblait malgré tout avoir une forme de respect pour Thor. Car ce fut bien le seul avec qui il s’amusa une seule et unique fois. Était-ce par crainte de sa force ? Était-ce parce que ce fut bien le seul à lui avoir fait ressentir une peur réelle ? Des questions. Encore des questions… Toujours est-il que si Thor se retrouvait dans une situation désespérée, c’est bien Loki qui l’en sortait par son intelligence, sa fourberie, et son esprit vif, quitte à se mettre en danger. Ou inversement, si la fourberie de Loki le coinçait dans une situation mortelle, la force et la puissance de Thor le sauvait à chaque fois. Malgré tout, Loki avait rempli son contrat avec Baleygr. Les dieux cependant, contrairement à la demande de Baleygr, ne le respectèrent pas plus qu’ils ne le faisaient avant. Même Thor se montra ingrat.
Et petit à petit Loki se laissa noyer par une jalousie et une haine vorace envers les dieux. Son amour-propre et son narcissisme étaient tels qu’il ne supportait pas les entendre et se comporter comme s’ils étaient largement supérieur. Sa haine envers eux grandit, encore et encore, au fil des années. A ses yeux, les dieux ne retenaient toujours qu’une seule partie des histoires vécues avec lui, ils ne retenaient que ses ruses, ses tours de passe-passe, ses mensonges, et gardaient pour eux les lauriers des réussites. Et rapidement, il devint évident qu’il ne pouvait pas laisser Baldr acquérir l’immortalité, car cela ferait de lui, le meilleur d’entre tous.
Le livre soudainement vibra plus fort. Les voix se firent plus agressives. Rùnar n’avait pas à voir tout ça. Ce passé n’était pas à lui. Il était étranger à ces souvenirs. Elles se montrèrent voraces, attaquant Rùnar pour le chasser. Non… Je veux des réponses !… Il usa davantage de son pouvoir pour leur résister. Je veux comprendre !… Son Chaos se déploya contre les résistances du livre, le forçant à s’ouvrir à nouveau et lui permettre de voir davantage dans le passé de son père.
Il vit sa mère tomber sincèrement amoureuse, et étrangement, il vit Loki faire de même, son cœur ne pouvant pas mentir face à Sigyn, comme si elle devenait soudainement la seule personne parmi les dieux à le comprendre. Sigyn se montra égale à elle-même, parfaitement loyale malgré ses actes criminels, et incroyablement fidèle envers lui. Elle ne montrait aucun signe de faiblesse lorsque les dieux et les déesses parlaient mal de celui qui lors d’un premier mariage avait eu ce qu’ils considéraient comme des monstres. Elle aima les premiers enfants de Loki comme s’ils avaient toujours été les siens. Et cela paraissait suffisant pour Loki. Elle ne l’empêcha pas d’accomplir sa vengeance, et de démontrer une bonne fois pour toute sa supériorité. Elle resta impérieuse et imperturbable, devant la mise à mort de son fils Narfi, mais Rùnar le voyait dans ses yeux combien voir cela lui avait complètement brisé le cœur, combien cela venait de réveiller en elle une colère et une rage envers les dieux. Il vit finalement, sa mère s’occuper de son père, s’épuisant à alléger ses souffrances, jour et nuit, bien qu’étant enceinte, et à le faire jusqu’au premier Crépuscule des Dieux.
Le livre cette fois se montra bien plus virulent, repoussant de toute ses forces Rùnar hors de ses pages. Il dû cette fois user de son pouvoir et de son Chaos pour se protéger, non pour contrer ou soumettre le livre. Quelque part au fond de lui, cependant, un séïsme dans sa magie se fit sentir, perturbant ses sortilèges, brouillant son esprit. Le livre parvint alors à rejeter Rùnar et d’un coup sec et dans un écho puissant, le livre fut fermé par Urd. Rùnar la vit. La même pression sur sa poitrine et le même poids qu’il avait déjà ressentis à la Tour des Mages, apparurent à nouveau. Peinant à respirer, sa vue se brouilla, son esprit plongea dans les ténèbres et il s’écroula, presque mort, aux pieds d’Urd. Elle soupira en rangeant le livre et porta Rùnar, dans ses bras, jusqu’à sa chambre, où elle fut rejointe par Skuld et Verdandi.
Laisser un commentaire